ANALYSE. À dix mois de la présidentielle, l’incertitude règne. Entre flou au sommet de l’État et rivalités internes dans l’opposition, le paysage politique reste fragmenté.
Moins d’un an avant l’élection présidentielle, l’incertitude électorale perdure auprès des Ivoiriens. Profitant du passage à la nouvelle année, l’actuel président Alassane Ouattara s’est tout de même essayé à un modeste exercice de clarification. Celui-ci avouait à ce titre ne pas avoir « encore pris de décision », avant de réitérer son souhait de « continuer de servir » son pays. Si la formule est délibérément suggestive, c’est que l’homme fort à la tête du pays depuis 2011 souhaite plus que jamais s’afficher en maître des horloges. « Pour démarrer une véritable campagne, il faut d’abord savoir qui est son adversaire », observe Netton Prince Tawa, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Université de Bouaké, au centre de la Côte d’Ivoire. En maintenant cette ambiguïté, du moins sur le plan officiel, le président entend limiter une fédération de l’opposition autour de sa personne.
Dans le camp présidentiel, une voie unique se dessine
D’ambiguïté, son camp politique semble en revanche n’en souffrir d’aucune manière. Auprès des cadres du parti au pouvoir, le RHDP, tous les commentaires convergent vers la figure d’Alassane Ouattara. Fin 2024, le ministre gouverneur du district autonome d’Abidjan, Cissé Ibrahima Bacongo, répondait en ces mots aux critiques concernant l’âge avancé du possible candidat : « Mais depuis quand l’âge est-il une maladie ? Il existe des personnes de 80 ans plus dynamiques […] que des jeunes de 20 ou 25 ans. Pour nous, il est évident qu’Alassane Ouattara demeure la personnalité capable de maintenir la Côte d’Ivoire sur la trajectoire de progrès et de stabilité […]. » Même son de cloche du côté d’Adama Bictogo, président de l’Assemblée nationale ivoirienne et un temps pressenti comme alternative potentielle en vue de 2025.
Tout récemment, la nomination de l’ancien Premier ministre Patrick Achi au poste de conseiller spécial auprès de la présidence a de nouveau interrogé l’opinion publique. À dix mois de l’échéance, rares sont ceux à voir en ce personnage autrefois éminent un dauphin crédible. « Après avoir été à la primature, être nommé conseiller spécial sonne comme une défaite. Garder Patrick Achi trop éloigné était synonyme de danger. Pour Alassane Ouattara, il n’est pas question de laisser nourrir quelques velléités présidentielles de la part d’anciens proches », analyse M. Wata. Force est de constater que ce soixantenaire issu des rangs de la majorité dispose de plusieurs atouts de taille, à commencer par sa longue expérience politique, une fine connaissance du monde des affaires ainsi que son identité chrétienne susceptible de parler à bon nombre d’électeurs.
La principale opposition au cœur de rivalités
Que se passe-t-il au PDCI, parti historique fondé au lendemain de l’indépendance ? Selon Tidjane Thiam, successeur de feu Henri Konan Bédié (décédé en 2023) élu il y a un peu plus d’un an à la tête de ce puissant appareil, sa candidature aurait dû s’imposer naturellement auprès des autres militants. Sauf qu’en interne, certains cadres ne semblent pas de cet avis. Tête de proue des dissensions, l’élu et homme d’affaires Jean-Louis Billon, qui depuis plusieurs mois conteste frontalement cette logique. Face à son ambition assumée de concourir à la présidentielle et une attitude « susceptible de nuire à la cohésion du parti », ce dernier devait faire l’objet d’un conseil de discipline initialement fixé au 15 janvier 2025. Mais coup de théâtre, l’audition fut contrainte d’être annulée à la dernière minute devant la menace de troubles à l’ordre public. Depuis ce désordre annoncé qui n’aura finalement pas eu lieu, les théories vont bon train : certains observateurs pointant du doigt le RHDP adverse, d’autres Jean-Louis Billon lui-même.
Quoi qu’il en soit, cette affaire dont se serait bien passé Tidjane Thiam relance le débat autour d’une primaire, aussi appelée « convention ». Quelle serait donc son utilité sans la participation de la principale voix discordante ? « Alors que le PDCI est aujourd’hui la seule alternative crédible au pouvoir en place, Thiam, malgré son statut de haut cadre qualifié, souffre d’un pécher originel : celui de refuser la compétition à l’intérieur de son parti ; ce qui n’était pas le cas de Bédié », renchérit l’universitaire Netton Prince Tawa. Habilement, Jean-Louis Billon oppose à son supérieur et adversaire la carte d’un processus démocratique qui pourrait à terme rallier davantage de partisans. Dans ce contexte, le conseil de discipline sera-t-il reconduit ? À la tête du PDCI, on affirme en tout cas qu’une convention se tiendra incessamment, sans en confirmer la date. Une situation de nature à retarder l’émergence d’une stratégie de campagne claire.
En parallèle de ces deux blocs évoluent quelques candidatures éparses, lorsque d’autres restent pour l’heure tout à fait hypothétiques. Parmi les candidats pouvant concourir de leur propre chef figurent deux personnages politiques intimement liés à l’ère Gbagbo. Simone Ehivet, ex-épouse du président déchu, croit fermement à une Côte d’Ivoire transformée et réconciliée avec son Mouvement des générations capables (MGC). L’ancien Premier ministre et successeur de Laurent Gbagbo à la tête du Front populaire ivoirien (FPI), Pascal Affi N’Guessan, continue quant à lui dans la droite ligne de ses précédentes candidatures. Celui qui en veut beaucoup à l’ancienne figure du chef mise sur une image d’un parti rénové.
De leur côté, Laurent Gbagbo, son ancien ministre de la Jeunesse Charles Blé Goudé et Guillaume Soro, indésirable en Côte d’Ivoire depuis 2019, souffrent d’une inéligibilité eu égard aux condamnations qui pèsent sur leur personne. Malgré la multiplication des effets de manche et autres déclarations de campagne, leur sort dépend presque exclusivement du pouvoir en place. « Le temps est une donnée capitale. Alassane Ouattara pourrait éventuellement autoriser une ou plusieurs de ces candidatures, mais en dernier ressort, de sorte à limiter la portée de leur campagne », conclut l’enseignant-chercheur Tawa.
Source: www.lepoint.fr