Le président américain accuse la nation arc-en-ciel de confiscation de terres et suspend son aide. Pretoria dément, défendant une loi d’expropriation visant à corriger les inégalités foncières.
a nouvelle, tombée au petit matin, a plongé les Sud-Africains dans l’ahurissement. Après avoir signé ce samedi un décret imposant des droits de douane de 25 % sur les produits canadiens et mexicains, puis être revenu sur ces décisions après des échanges téléphoniques avec ses homologues canadien et mexicaine, Donald Trump a entre-temps annoncé interrompre tous les financements américains en direction de l’Afrique du Sud.
La raison ? « L’Afrique du Sud confisque des terres, et traite certains groupes de personnes TRÈS MAL », a-t-il posté dimanche sur sa plateforme Truth Social. Une accusation sans preuve, qui cible une loi sur l’expropriation récemment promulguée par le président sud-africain Cyril Ramaphosa.
Celle-ci instaure la possibilité d’expropriation « sans compensation », ce qui provoque depuis dix jours de vifs débats dans la nation arc-en-ciel.
Toutefois ce lundi, toute la classe politique sud-africaine a parlé d’une voix commune pour dénoncer le comportement du président américain. « Offensant », pour le leader du parti d’extrême gauche EFF Julius Malema, qui estime pour sa part la loi sur l’expropriation trop molle. « Mal informé », pour le dirigeant du parti de centre droit John Steenhuisen, qui s’était de son côté opposé à la loi lors de sa promulgation.
Le président Cyril Ramaphosa a quant à lui immédiatement proposé dans un communiqué d’échanger avec Donald Trump, corrigeant au passage son homologue : « Le gouvernement sud-africain n’a confisqué aucune terre. La loi sur l’expropriation récemment adoptée n’est pas un instrument de confiscation, mais une procédure juridique prescrite par la Constitution qui assure l’accès du public à la terre d’une manière équitable et juste. »
Expropriation sans compensation, sous conditions
La répartition des terres est une question sensible en Afrique du Sud. Le projet d’une restitution aux Africains dépossédés par la colonisation puis par le régime d’apartheid est porté par l’ANC depuis son arrivée au pouvoir en 1994. Mais la réforme agraire et foncière engagée n’a pas porté ses fruits, générant de la frustration. Plus de 30 ans après la fin de l’apartheid, les terres sont dans leur grande majorité toujours possédées par des propriétaires blancs, qui ne représentent pourtant que 7 % de la population.
Cette nouvelle loi, signée le 23 janvier, a donc été présentée par la présidence comme un grand pas en avant vers une répartition plus égalitaire. En réalité, elle ne marque pas de réel tournant dans la politique gouvernementale, mais une mesure a cristallisé les tensions, évoquant la possibilité d’expropriations « à compensation nulle ». Pour certains détracteurs de la loi, c’est ouvrir la voie à une situation semblable au Zimbabwe voisin où le gouvernement de Robert Mugabe avait orchestré une vague d’expulsions de fermiers blancs dans les années 2000, entraînant un désastre économique.
Mais cette nouvelle loi est en réalité très encadrée, notamment par la Constitution. Cette expropriation sans compensation ne se ferait que dans des circonstances qui le justifient, en faveur de l’intérêt général. Il s’agirait ainsi de terres qui ne sont pas exploitées et pour lesquelles il n’y a pas de projet d’exploitation, et ce processus ne serait qu’un ultime recours en cas de non-accord avec le propriétaire.
Lundi, le ministre des Affaires étrangères Ronald Lamola a affirmé que « [leur] loi sur l’expropriation n’a rien d’exceptionnel, de nombreux pays ont le même type de législation », citant notamment les États-Unis.
« Si Trump retire l’aide, nous pouvons retirer nos minéraux »
Des nuances qui n’ont pas atteint les oreilles de Donald Trump. Le groupe de pression Afrikaner AfriForum, très protecteur des fermiers blancs, s’est vanté lundi d’avoir fait du lobbying à Washington après la signature de la loi. Il qualifie régulièrement les vagues de meurtres de fermiers blancs de « génocide », un terme que l’on retrouve également chez Elon Musk. L’homme le plus riche de la planète, qui a grandi dans l’Afrique du Sud d’apartheid, a renchéri lundi, postant sur son réseau social X en réponse à un tweet de Ramaphosa : « Pourquoi avez-vous ouvertement des lois de propriété racistes ? »
Une allusion peut-être à ses déboires dans la nation arc-en-ciel : souhaitant depuis des années y déployer Starlink, il bute sur les critères de discriminations positives, qui imposent aux opérateurs de télécommunications d’être possédés à 30 % par des personnes issues de « groupes historiquement désavantagés ».
Quant aux menaces de suspension de l’aide américaine, celle-ci se chiffrait à 440 millions de dollars en 2023, principalement dédiés à la lutte contre le VIH et la tuberculose. L’aide Pepfar contribue ainsi à hauteur de 17 % aux programmes gouvernementaux de lutte contre le sida et le VIH. Hormis celle-ci, a cependant précisé Cyril Ramaphosa, « il n’y a pas d’autre financement important des États-Unis à l’Afrique du Sud ».
Le ministre des Mines Gwede Mantashe s’est montré quant à lui plus virulent, suggérant lors du forum minier annuel, Mining Indaba, qui a lieu cette semaine au Cap : « Si Trump retire l’aide, nous pouvons retirer nos minéraux. »
Source: www.lepoint.fr