ANALYSE. Ce rendez-vous diplomatique n’est pas parvenu à trouver de solution dans cette guerre qui s’enlise depuis deux ans.
ucun pourparler direct n’a eu lieu entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR) depuis la suspension du processus de Djeddah le 3 décembre 2023. Cette tentative de médiation, chapeautée par les États-Unis et l’Arabie saoudite, continue à être qualifiée du meilleur format essayé jusqu’à présent, bien que le manque d’acteurs civils et humanitaires soit regretté. Depuis, les diverses initiatives pour ramener la paix ont échoué les unes après les autres.
Dans ce contexte, la conférence ministérielle de Londres, coorganisée par le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Union européenne et l’Union africaine le 15 avril, date du deuxième anniversaire de la guerre entre les paramilitaires et l’armée, a affiché des objectifs sans ambition sur la situation humanitaire, la protection des civils, le processus politique ou encore la formation d’un groupe de contact pour assurer le lien entre les différentes initiatives de paix. Mais le principal soutien des FSR, les Émirats arabes unis, et celui des FAS, l’Égypte, n’ont réussi ni à s’entendre, empêchant la création de ce groupe, ni à aboutir à un communiqué final commun. Seuls les organisateurs ont paraphé la déclaration.
Le communiqué final fait l’impasse sur les attaques en cours
« Ce document n’apporte rien de nouveau et fait l’impasse sur les éléments nécessaires, à commencer par le camp de déplacés Zamzam qui était en train d’être réduit en cendres au moment de ce rendez-vous. Ni le siège sur El-Fasher, la capitale du Nord-Darfour, ni les livraisons d’armes n’ont été mentionnés », déplore Nathaniel Raymond, directeur exécutif du Humanitarian Research Lab de la Yale School of Public Health.
« Les participants ont évoqué une approche sur le long terme pour revenir à la stabilité alors que des personnes meurent sur les routes en tentant d’échapper aux attaques des FSR. C’est comme si on avait parlé de développement économique dans le futur en plein cœur du génocide rwandais », poursuit le chercheur. La prise du camp de Zamzam par les hommes du général Mohamed Hamdan Dagalo surnommé « Hemeti » le 13 avril a déplacé au moins 400 000 individus. Beaucoup d’entre eux pensaient pourtant y avoir trouvé refuge après avoir fui de récents assauts à El-Fasher et dans les villages alentour. Le format de la conférence a en outre reçu de nombreuses critiques. Aucun acteur soudanais n’a été convié, ce qui a exaspéré le gouvernement pro-armée du général Abdel Fattah al-Burhane relocalisé à Port-Soudan, également furieux contre la présence des Émiratis.
Se recentrer sur les racines du conflit
« C’est une manière très coloniale de procéder, dénonce Hamid Khalafallah, doctorant spécialiste des transitions démocratiques et les mouvements populaires en Afrique. Nous avions peu d’espoir que cela fonctionne au vu de l’espace donné aux soutiens régionaux des deux factions belligérantes tout en sachant que Londres n’a pas assez d’influence pour exercer une pression sur les Émirats ou l’Égypte. » Cette rencontre manquée ne maintient pas seulement le statu quo, elle pourrait même aggraver la situation en « accroissant le scepticisme face à l’échec continu de la diplomatie internationale au Soudan », redoute Hamid Khalafallah. Les Égyptiens essaient néanmoins d’organiser prochainement une deuxième session de la rencontre du Caire qui avait permis en juillet 2024, pour la première fois, de réunir des civils de différents bords : des soutiens de l’armée et des FSR ainsi que des personnalités neutres.
En février dernier, l’Union africaine a échoué à tenir un tel échange et a dû se résoudre à scinder les convives en deux groupes – respectivement considérés comme pro-FAS et pro-FSR –, tandis que les participants en réclamaient un troisième pour les non-alignés. De leur côté, les Américains et les Saoudiens aimeraient ressusciter le processus de Djeddah. Un changement de méthode s’impose toutefois. « Les pourparlers comme le format de Djeddah se concentrent sur l’étincelle qui a déclenché les combats, à savoir la question de l’intégration des FSR dans les troupes régulières. Or, pour arrêter les affrontements, il faut s’attaquer aux véritables causes de la guerre, telles que la volonté des islamistes de revenir au pouvoir, le souhait des FSR d’étendre leur influence et les tentatives des FAS de mettre fin à la révolution », détaille l’analyste Kholood Khair.
La solution passera inévitablement par une plus vaste inclusion des représentants invités à la table des négociations. « Il faut qu’une base civile plus large soit considérée comme un acteur majeur plutôt que de continuer à favoriser les élites », recommande Kholood Khair. La chercheuse fait notamment référence à l’ancien mouvement Taqaddum, devenu Somoud, qui demeure majoritairement dirigé par les mêmes responsables politiques ayant pactisé avec les militaires au lendemain de l’éviction du dictateur Omar el-Béchir en 2019. Le chef de ce collectif n’est autre que l’ex-Premier ministre Abdallah Hamdok.
Les États-Unis restent, selon beaucoup d’observateurs, les mieux placés pour convaincre les principaux fournisseurs d’armes de s’engager pour la paix. « Le problème avec l’administration Trump, c’est qu’il instaure la paix par le biais d’accords commerciaux comme en Palestine et en Ukraine. Il faut donc que des acteurs comme le Royaume-Uni et l’Union européenne qui collaborent avec les États-Unis parviennent à contrebalancer l’influence de Donald Trump sur le processus de paix », espère Hamid Khalaffah. Sans tomber, une nouvelle fois, dans l’écueil de la compétition entre médiateurs. « Chacun veut s’approprier le processus de paix et sa réussite », conclut un participant à la conférence de Londres.
Source: www.lepoint.fr