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Le président du Sénégal à Paris : la France peut-elle éviter la rupture ?

ANALYSE. Ce premier déplacement hors du continent africain du chef de l’État sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, ce 19 juin, s’annonce comme un véritable test.

Par Tidiane Dioh

La première visite officielle du nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye en France, ce 19 juin, sera décisive dans les relations futures entre le Sénégal et la France. Or Dakar, point d’entrée stratégique situé à l’extrême ouest du continent et ancienne capitale de l’Afrique occidentale française, n’a jamais paru aussi éloigné de Paris. Surtout depuis que, le 16 mai, le nouveau Premier ministre Ousmane Sonko, profitant de la visite à Dakar de son allié politique Jean-Luc Mélenchon a vivement critiqué le président français Emmanuel Macron, devant des étudiants à l’université Cheikh-Anta-Diop, totalement acquis à sa cause. En somme, Sonko reproche à Macron d’avoir, selon lui, fermé les yeux, ces dernières années, sur la répression exercée par l’ancien président Macky Sall sur ses partisans. Cette scène, inédite, cache une réalité plus tragique : de Dakar à Nouméa, Paris entretient une relation complexe et difficile avec les territoires de son ancien empire colonial, alors même que l’extrême droite française, symbole de repli sur soi et de fermeture, est annoncée aux portes du pouvoir.

À l’exception notoire de la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara, Paris est acculé partout sur son ancien précarré. Les pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), Mali, Niger et Burkina Faso, tous dirigés par des juntes militaires, ont contraint la France au retrait de ses troupes et entrepris un rapprochement progressif avec la Russie, déjà très présente en Centrafrique. Au Tchad, pilier de la lutte contre le djihadisme dans la région et dernier point d’ancrage militaire de Paris dans le Sahel, la visite à Moscou, en janvier 2024, du numéro un tchadien, Mahamat Idriss Déby, élu au premier tour de la présidentielle le 6 mai, suscite moult commentaires. D’autant plus que Washington, après un accord de retrait de ses troupes du Niger, a annoncé il y a quelques semaines, un « repositionnement » de ses soldats basés au Tchad. Les jeux semblent faits : N’Djamena ne devrait plus être dans une relation exclusive avec Paris. C’était déjà le cas de Djibouti, à l’extrême est du continent, jadis bastion de la France qui, dans un souci de diversification de ses partenaires, accueille aujourd’hui pas moins de sept armées étrangères sur son territoire d’à peine 23 200 kilomètres carrés. À Djibouti, la base militaire française cohabite désormais avec celle de la Chine et des États-Unis.

Renégocier sa présence en Afrique

Dans l’Afrique d’expression française actuelle qui fait l’expérience d’un bouleversement stratégique d’une ampleur sans précédent, un diffus sentiment antifrançais monte de jour en jour. Contre « le fait colonial », les opinions publiques opposent un ordre nouveau et proposent des approches nouvelles. Ce vent souverainiste qui souffle devrait conduire la France à s’extraire des schémas désuets et inventer de nouvelles stratégies de coopération.

De surcroît, ces dernières années, le débat autour du franc CFA – autre point de divergence entre Paris et certaines capitales africaines —, jusqu’alors limité au cercle restreint des spécialistes de l’économie et des institutions monétaires, a pris une tournure politique. Singulièrement en Afrique de l’Ouest où des figures plus ou moins connues du grand public, des intellectuels, mais aussi des populistes de tout crin ont trouvé dans le franc CFA, qualifié de « monnaie néocoloniale », le prétexte idéal pour critiquer la politique de la France sur le continent.

Paris devra se résoudre à acter la fin du rapport de domination postcolonial basé sur une présence dissuasive des bases militaires françaises, le renseignement, la relation exclusive avec les chefs d’État, le monopole des entreprises françaises dans les économies nationales ainsi que les canaux diplomatiques officiels et officieux.

De plus en plus de pays réclament la fermeture des bases militaires. Les plus radicaux demandent le départ des troupes (et parfois des diplomates) françaises. Les plus modérés souhaitent a minima la révision des accords militaires. Tous, quasiment, en appellent à des rapports économiques équitables et à la fin du monopole des entreprises françaises.

Paris gagnerait à renégocier sa présence sur le continent où Chinois, Russes, Turques, Indiens… prennent pied chaque jour encore plus.

Réinvestir l’Indo-Pacifique

En Afrique, continent d’avenir et gisement de matières premières indispensables à l’émergence des pays du Nord, comme dans l’Indo-Pacifique qui contribuera d’ici à 2030 à environ 60 % du PIB mondial, Paris joue une part de son destin. Sur l’Indo-Pacifique, nouveau centre de gravité du monde, les enjeux sont d’ordre hautement politiques, géostratégiques et géoéconomiques.

C’est à la lueur de ce contexte qu’il faut analyser la crise qui a récemment secoué la Nouvelle-Calédonie et dont les revendications, finalement, ne sont pas si éloignées de celles que l’on voit monter en Afrique.

Dans cette partie du monde, les États-Unis et le Royaume-Uni, alliés de l’Australie dans le cadre de l’alliance militaire Aukus, sont en concurrence ouverte avec la Chine. On prête à Pékin, qui a injecté ces dernières années plusieurs milliards de dollars dans les pays insulaires du Pacifique, l’intention de construire une base militaire dans la zone et de chercher à s’approvisionner en réserve de nickel. La Nouvelle-Calédonie possède environ 10 % des réserves mondiales de nickel, métal utilisé dans la fabrication d’acier inoxydable et de batteries électriques. De surcroît, sur le plan géopolitique, la Nouvelle-Calédonie garantit à la France l’accès à un vaste domaine maritime sur 10,2 millions de kilomètres carrés, des points d’appui dans les océans Indien et Pacifique et un statut de puissance moyenne.

Repenser le rapport avec ses ex-colonies et ses périphéries

Les revendications africaines ne manquent pas de similitudes avec celles entendues en Nouvelle-Calédonie au moment de la crise dans l’archipel. S’il est vrai qu’un centre ne tient que grâce à ses marges, alors il devient plus qu’urgent pour la France de repenser son rapport à ses anciennes colonies d’Afrique et ses périphéries ultramarines. Paris peut encore participer à l’écriture de l’Histoire contemporaine, à condition d’écouter les « singularités qui se soulèvent » un peu partout dans son ancien empire colonial. Sans quoi, les fortes aspirations qui émergent, de Dakar à Nouméa, pourraient, si elles ne sont pas entendues, précipiter le déclassement de la France. C’est précisément pourquoi la visite du président sénégalais est un tournant majeur pour Paris.

Source: www.lepoint.fr

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