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Interview télé du capitaine Ibrahim Traoré du 3 février 2023 : Opération de charme et de clarification

Au moment où les yeux à l’international sont braqués sur le pays, s’interrogeant si le capitaine Ibrahim Traoré va jouer le rôle du « bon petit » du lieutenant-colonel Assimi Goïta, qui après avoir mis fin à l’opération Barkhane a fait appel aux mercenaires russes de Wagner, le président de la transition du Burkina Faso s’est adressé à son peuple et au monde pour dire ce qu’il veut faire après avoir mis fin à l’accord de défense avec la France. Revoyons ensemble quelques points de cette interview qui est plutôt réussie pour les trois intervenants et bien plus pour celle qui n’a pas été que l’atout charme de cet entretien, Ruth Bini Ouattara.

Une fois n’est pas coutume, commençons par les bonnes nouvelles. Au plan national, le capitaine a profité de la rencontre pour montrer qu’il était blanc comme neige dans le détournement de 400 millions de francs CFA destinés à l’équipement des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Il a dit que la LONAB a subventionné l’état-major des armées pour cette somme et que c’est ce service qui a fait les dépenses et non un capitaine de Kaya. Pour lui cette information a créé des suspicions au sein des VDP et des militaires qui étaient en opération en ce moment.

Pas de militaires français, pas de Wagner

Le capitaine Ibrahim Traoré a réussi aussi son pitch sur la rupture de l’accord militaire concernant l’hébergement des forces spéciales françaises de l’opération Sabre qui n’est pas une rupture des relations diplomatiques avec la France. Toujours concernant les affaires étrangères, il a parlé des difficultés d’acquérir des armes avec certains pays du fait de l’existence des VDP créés bien avant son arrivée et de sa volonté de rechercher des équipements pour la défense du territoire là où c’est possible, donc avec la Russie mais pas qu’elle. Concernant les mercenaires de Wagner dont certains disent qu’ils seraient à Ouagadougou alors qu’il n’en est rien, il a été clair. Il a déjà ses propres Wagner qui sont les Volontaires pour la défense de la patrie. Bon point donc sur ce plan, même si les relations avec Bamako sont au beau fixe, Ouagadougou n’a pas besoin des mercenaires russes et compte sur ses propres forces.

Bon voisinage

De même concernant la lutte contre le terrorisme, Bamako est privilégié parce que le Mali est le pays avec qui nous avons la plus longue frontière, plus de 1000 km. Mais le MPSR II travaille avec le Niger et les autres pays frontaliers comme la Côte d’Ivoire qui n’a pas honoré l’invitation de pays à l’honneur du Salon international de Ouagadougou qui se déroule en ce moment et dont le président ignore les causes. Les journalistes auraient pu profiter pour interroger sur le changement du Togo pressenti comme pays invité d’honneur au prochain Fespaco et remplacé par le Mali ? Est-ce que le Togo a été consulté pour ce changement de dernière minute à moins d’un mois du Fespaco ? Nos journalistes ont manqué de droit de suite ici.

Négocier aussi fait partie de la lutte

Dans ce talk-show, ce qui a été moins réussi, c’est le bilan de la lutte contre le terrorisme. Le président de la transition n’avait pas d’annonces importantes à faire qui soulagent les populations. Il a été question encore de préparation de la lutte, de collecte de renseignements et de combats à venir au plan terrestre. L’option de ne pas négocier parce que nos ennemis ne défendent pas des valeurs nous semble aussi de notre part une méconnaissance de nos ennemis. Si nous les connaissions bien, nous saurons ceux qui ont été dupés, ceux qui sont prêts à déposer les armes sous condition. Le recueil de renseignements en cours ne devrait pas être seulement les objectifs militaires, mais aussi ces questions sociologiques et anthropologiques. Même si toutes les ethnies sont représentées dans les groupes terroristes, ils sont constitués en majorité de l’ethnie peulh. Cela doit nous interpeller.

La question ethnique

La réponse sur la stigmatisation des peulhs n’est pas aussi des plus heureuses notamment en se demandant ce que ceux qui en parlent ont fait pour ces populations. Même si le président a reconnu l’ouverture d’une enquête sur les évènements de Nouna qui visaient la communauté peulh, et l’existence de formations aux droits de l’homme au sein des forces armées et des Volontaires pour la défense de la patrie, il nous semble qu’en renvoyant les défenseurs des droits de l’homme à leurs propres actions, il oublie que ceux-ci parlent de problèmes récurrents de massacres concernant la même communauté comme à Yirgou où l’affaire est aussi entre les mains de la justice depuis des années.

Last but not least

Concernant la presse, le capitaine a reproché à certains journalistes d’être apatrides par leur comportement, de ne voir que le revers de la médaille, le mauvais côté des choses. C’est normal, vu de son angle, mais en journalisme, les trains qui arrivent à l’heure, ne sont pas une information. Cela devrait être dans l’ordre normal des choses comme les présidents intègres. C’est une information quand une localité est reprise à l’ennemi. Mais si les forces de défense dissuadent l’ennemi d’attaquer, elles sont dans leur rôle, leur mission régalienne, il n’y a pas de nouveauté, de nouvelle, d’information.

Aussi la presse et les journalistes s’intéressent à ce qui ne va pas, non pas parce qu’ils n’aiment pas leur patrie, mais parce qu’ils l’aiment plus que tout et veulent le meilleur pour elle. C’est pourquoi nous disons que Solenzo a été reprise à l’ennemi, (information vraie) mais toute la région de la Boucle du Mouhoun aujourd’hui est devenue insécure avec des villages où les habitants sont chassés (information vraie). Le dire c’est attirer l’attention des autorités sur la misère des populations, c’est inviter l’autorité à faire quelque chose pour elles.

Ceux qui traitent la presse d’apatride veulent que l’on considère ces attaques comme normales, que l’on accepte la misère imposée à nos frères et sœurs dans les régions dans un silence coupable. Nous ne pensons pas que cela aide les autorités elles-mêmes qui font appel à la solidarité des Burkinabè d’ici et d’ailleurs et de la communauté internationale.

Les échos de la presse apportent aussi une crédibilité et servent ce travail de mobilisation. Les médias, les journalistes ne sont pas des apatrides et des ennemis du pouvoir, nous avons le même combat. La vérité, l’information est utile aux Burkinabè pour rechercher des solutions aux problèmes que nous combattons.

L’information n’est pas le problème. Attention à ne pas casser le miroir parce que l’image n’est pas belle. Comme le dit l’anecdote du photographe, « c’est boubou qui entre, c’est boubou qui sort ». Mais si jamais nous sommes en faute vis-à-vis de la loi, la presse n’est pas infaillible, loin de là, faisons confiance à la justice.

Sana Guy
Lefaso.net

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